Paroles de « Gilets Jaunes »
(textes et
photographies ©ArnaudRodamel)
J’ai
retrouvé régulièrement, entre le 17 et le 22 novembre 2018, les
« Gilets Jaunes » de Saint-Chamond sur l’aire
d’autoroute du Pays du Gier. À plusieurs reprises, de jour comme
de nuit, j’ai photographié des « moments de vie »
et des portraits que j’ai parfois postés sur Facebook. Mais, face
à la profusion de photographies et de vidéos qui circulent sur les
réseaux sociaux, j’ai ressenti l'envie et le besoin de récolter des propos et de les
« figer » quelques temps sur ce blog. Ma démarche
n'est pas journalistique, ni syndicale, et encore moins
politique. Je tiens simplement par ce mini-reportage, à
porter un regard photographique personnel sur un mouvement social qui nous
concerne, de près ou de loin, tous.
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Merci aux participants de m’avoir accordé leur confiance -
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Delphine
C’est
la première fois que je manifeste pour montrer mon mécontentement.
Je me rends sur l’aire du Pays du Gier depuis dimanche car je suis
révoltée par ce qu’il se passe en France. Non seulement à cause
de la hausse des taxes et de la baisse des salaires, mais surtout
parce que le gouvernement cherche à nous ranger dans des cases. Je
suis actuellement en recherche d’emploi, après avoir travaillé
dans le secteur de la pâtisserie. J’ai dû arrêter mon activité
pour diverses raisons, personnelles comme professionnelles.
Actuellement, seul le salaire de mon compagnon nous permet de vivre
et d’élever nos deux filles. Cela devient de plus en plus difficile et
à un moment donné, il faut savoir dire stop. Il faut désormais que
cela cesse et que les choses bougent enfin. Comment peut-on
m’expliquer qu’à trente ans, je peine à trouver du travail ?
Comment peut-on m’expliquer que la génération de mes
grands-parents et celle de mes parents se sont battues pour obtenir
des droits sociaux et que désormais, pour beaucoup d’entre nous,
il est difficile de boucler les fins de mois. En agissant de la
sorte, je pense à ma grand-mère qui a travaillé toute sa vie et
qui galère. Je pense aussi à ce que nous allons laisser à nos
enfants.
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Denis
Je
suis retraité. J’ai travaillé quarante-trois ans dans le secteur
privé. J’ai fait des tas de boulots jusqu’à mes trente-et-un
ans puis j’ai travaillé dans une même entreprise jusqu’en 2012.
Je suis là notamment parce que je n’aime pas la tournure que prend
le système fiscal en France. On perd en effet de plus en plus
l’aspect progressif de l’impôt sur le revenu qui faisait que
chaque citoyen contribuait à hauteur de ses moyens. Désormais,
beaucoup de choses sont financées au niveau national par des taxes ce qui est très inégalitaire car, riche ou pauvre,
on paie de la même façon. J’ai milité à titre syndical lorsque
j’étais en activité. J'adhère à une association de
retraités, j’ai manifesté à plusieurs reprises et j’ai même
vécu la fin de mai 68 à Paris. En effet, avec un ami, nous avons
fait trois jours de solex depuis Nîmes pour rejoindre la capitale.
C’était une sacrée épopée ! Ce qui me plaît dans ce
mouvement-là, c’est que des individus qui n’ont auparavant
jamais manifesté se donnent les moyens de se faire entendre, qu’ils
s’emparent de leur colère individuelle pour en faire quelque chose
de collectif et de constructif. Le 17 novembre 2018 a vraiment été
une date symbolique en ce sens. J’adhère complètement à l’idée
de manifester le 24 à Paris et j’espère que ceux qui ne pourront
pas se rendre dans la capitale trouveront d’autres points de
ralliement dans le pays.
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Je crois que je suis
ici pour les mêmes raisons qui ont poussé beaucoup d’autres
personnes à manifester. Ce n’est pas qu’une histoire de gasoil, mais plutôt un ras-le-bol général face au coût de la vie. Depuis
quelques temps, tout augmente, sauf les salaires. Même ceux qui
travaillent se retrouvent pris à la gorge. Je dois faire quarante
kilomètres pour aller bosser. Entre mon lieu de travail et chez
moi, il n’y a pas de transports publics. Je n’ai pas d’autres
choix que de prendre ma voiture. Augmenter les taxes sur le gasoil,
c’est tout simplement baisser mon pouvoir d’achat. Ça va être
quoi notre vie ? Travailler quarante ans et se priver de tout un
tas de choses pour avoir une retraite de 900 euros ?
Franchement…
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Je suis retraité. J’ai travaillé presque toute ma vie pour la même entreprise en tant qu’agent de maîtrise. Lorsque ma boite a été rachetée par un groupe anglais, les patrons ont remplacé en moyenne trois agents de maîtrise par un cadre. Beaucoup d’entre nous ont été alors licenciés ou mis au placard. Depuis que je suis en retraite je constate que, contrairement à ma pension, tout augmente, et non seulement le gasoil. Il y a quelques mois, ma femme et moi avons eu une augmentation cumulée de trois euros par mois, chose qui n’était pas arrivée depuis fort longtemps. C’est donc plus que dérisoire. Notre pouvoir d’achat a baissé. Ce n’est pas un ressenti, c’est une réalité. Je suis en colère car on se trouve face a un mensonge d’état que personne ne veut reconnaître. J’en veux aussi aux journalistes dont la plupart rentrent dans ce jeu des non-dits et des inexactitudes. Je m’en tire encore pas trop mal, mais je dois souvent composer. Pour les vacances, par exemple, on part en hiver retrouver la chaleur dans des pays comme le Maroc ou encore l’Espagne notamment parce que la vie y est moins chère.
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Corinne, Alizée, Mélody
Corinne :
Je
suis venue ici car je suis mère de six enfants et qu’il m’est
tout simplement de plus en plus difficile de vivre. J’en ai marre
de tout. Je dors peu chaque nuit car je me demande constamment
comment je vais faire pour payer mes traites qui s’accumulent de
jour en jour. C’est la première fois que je manifeste et je sais
que je ne lâcherai rien, quitte à y rester. Je suis venue
accompagnée de mes filles Alizée et Mélody. Quand elles ont su
que je venais, elles m’ont spontanément emboîté le pas. Tous mes
enfants envisagent de partir à l’étranger non seulement pour
avoir de meilleurs salaires mais aussi pour avoir une vie plus
agréable, avec d'autres mentalités. Je me demande alors comment je ferai pour les voir si
plusieurs milliers de kilomètres nous séparent vu que je n’aurai
pas les moyens de me déplacer. Les fêtes de Noël se rapprochent
et je ne pourrai pas leur offrir les cadeaux qui pourraient leur
faire plaisir. Vous trouvez ça normal, vous ? On en est au
point d’être obligés à s’entre-aider, avec des membres de ma
famille, simplement pour pouvoir manger. Mon budget nourriture
s’élève à 800 euros par mois pour nourrir toute ma famille et
croyez-moi, on ne mange pas des produits de luxe. Juste la base qu’il
faut pour vivre. Rien que ça, ça représente la moitié du salaire
de mon mari. Je ne me bats pas que pour moi, mais pour tous les
autres. Pour tous ceux qui se retrouvent dans ma situation. Ce qui
est difficile à faire comprendre à ceux qui ne soutiennent pas ce
mouvement, c’est qu’on est tous concernés à des degrés
différents par ce qu’il se passe actuellement.
Alizée :
Je
suis là parce que j’éprouve un ras-le-bol de beaucoup de choses.
Je n’accepte pas notamment de voir que des gens qui ont travaillé
toute leur vie se retrouvent avec de si petites retraites. Je ne
supporte pas l’idée de constater que tout augmente sauf les
salaires. Je me fais du souci pour les générations à venir et
c’est pourquoi je veux défendre le peu qu’il nous reste. J’ai
travaillé comme préparateur de commandes pour un Drive. Mon épaule
est en vrac et je constate que les employeurs ont le dernier mot face
à la médecine du travail. Cela devient de plus en plus compliqué
d’évoluer dans un monde où l’on est mal considéré par ceux
qui nous gouvernent. Macron dit qu’il entend notre colère, mais
c’est faux. Pour son gouvernement, nous ne sommes que des pions. En
ce qui me concerne, les taxes sur le gasoil, c’est la petite goutte
d’eau qui a fait déborder le vase.
Mélody :
Je
me fais du souci pour notre génération comme pour les générations
futures. J’ai une fille et vu que la situation s’empire
d’année en année, rien ne m’incite actuellement à avoir
d’autres enfants. Ce qui m’énerve le plus, c’est ce manque de
liberté. On nous dit que nous vivons dans une démocratie alors que
les lois sont imposées par ordonnances. Lorsque l’on manifeste
notre mécontentement, on nous envoie la police ou les CRS qui nous
délogent avec violence. C’est ça la démocratie ? Je suis
agent de sécurité dans l’événementiel et je travaille par
intermittence. Le peu que je gagne en travaillant, je le dépense
pour faire garder ma fille lorsque je suis obligée de me déplacer.
Si je ne travaille pas, je n’ai plus rien pour l’élever. Je ne
manifeste pas uniquement à cause des taxes sur le gasoil même si le
plein de ma voiture me coûte désormais 70 euros et non plus 60 comme il y
a quelques mois. Non, ce que je déplore, c’est cette difficulté à
joindre les deux bouts et à finir les mois sans être à découvert.
Actuellement, je vis chez ma grand-mère car je ne peux pas faire
autrement.
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Je manifeste mon
mécontentement, mais ma démarche n’est pas personnelle. Je tiens
à me battre pour tous ceux qui rencontrent des difficultés. De plus
en plus, on doit se priver car la vie devient trop chère. On ne peut
plus se faire plaisir comme avant. Je pense notamment à la sœur de
ma grand-mère qui est dans une maison de retraite. Elle gagne 800
euros par mois et doit en débourser 1600 pour être dans sa
structure. C’est normal ? Beaucoup de retraités n’ont pas
les moyens, après avoir travaillé plus de quarante ans, de financer
tout ça. Comment font ceux qui n’ont pas de famille pour les
aider ? Grâce à mon travail de mécano-chaudronnier, j’ai la
chance de me déplacer à l’étranger, notamment en Espagne et en
Italie. En Finlande par exemple, comme le coût de la vie n’est pas
plus cher qu’en France et que le salaire moyen est plus élevé, le
pouvoir d’achat est supérieur au nôtre. Les gens sont aussi plus
solidaires. Pourquoi ce qui est possible là-bas ne le serait pas
chez nous ? Moi, mon but, ce n’est pas de bloquer les routes.
C’est de faire en sorte que l’État arrête de nous taxer comme
il le fait car j’en ai ras-le-bol du coût de la vie. Je ne veux
pas me mettre les gens à dos, mais il faut bien pouvoir se faire
entendre.
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